Un match de football dure 90 minutes. Un match de rugby dure 80 minutes. Un match de basket-ball en NBA ne dure que 48 minutes.

Une seule étape du Tour de France, quant à elle, peut durer plus de six heures.

Même les journées les plus courtes, comme la 14e étape de 117,5 km de l'édition 2019, remportée par Thibaut Pinot, qui est donné vainqueur cette année avec une cote à 8/1 sur les paris sportifs, durent plus de trois heures.

Pour un commentateur, combler ce temps est déjà assez difficile, mais la nature du sport en question rend leur tâche encore plus ardue.

Une grande partie de l'action se déroule en début et en fin de journée. Entre les attaques, les échappées et les arrivées, les commentateurs ont souvent des heures à passer et peu d'actions à commenter pour les remplir.

"Commenter le cyclisme n'est pas comme le billard ou le tennis", déclare Carlton Kirby, commentateur principal de la couverture cycliste d'Eurosport, qui travaille dans ce sport depuis 1996.

"Au tennis, on ne parle jamais durant un échange, car la foule ne le fait pas. Dans certains sports, il faut respecter l'action, puis la commenter ensuite. Pour moi, c'est un travail très facile”.

"Il y a d'autres sports, comme le cyclisme, où le commentaire doit être complet. Il n'y a pas de blancs, vous pouvez vous taire pendant cinq secondes environ pour écouter la foule, mais c'est tout".

Il est déjà assez difficile de se concentrer pendant des heures, mais les commentateurs doivent aussi composer avec des directeurs dans l'oreillette, des annonces radio constantes et une frénésie d'autres actions autour d'eux.

"Très souvent, vous parlez tout en recevant une note, en écoutant le directeur et en écoutant la radio de la course en même temps", dit Kirby.

"Il y a énormément de distractions à gérer, donc si vous regardez vos notes alors qu'il se passe quelque chose et que vous ne le voyez pas, ce n'est pas votre faute".

Kirby rit. "Mais essayez d'expliquer ça à Cycling Weekly et aux lecteurs s'exprimant dans leur section commentaires."

Il suffit d'effectuer une recherche rapide sur Google pour comprendre ce à quoi Kirby fait allusion ici : il y a des forums de fans qui demandent son retrait d'Eurosport, et même une pétition, citant des "commentaires absurdes", des "blagues horribles" et des "cris inutiles".

Mais il y a aussi beaucoup de fans qui apprécient Kirby pour ses connaissances et son enthousiasme au micro.

La croissance des réseaux sociaux et le nombre de personnes qui expriment leur opinion signifient que la critique n'est jamais loin, mais c'est une chose avec laquelle Kirby est à l'aise.

"Ce n'est pas comme dans la presse écrite où l'on peut écrire quelque chose, le peaufiner et le raccourcir", explique Kirby. "Je n'ai pas ce don. Une fois que j'ai dit quelque chose, quelques heures plus tard, c'est déjà dans les tuyaux. C'est parti, c'est irrémédiable".

"Il n'y a pas de processus éditorial, sauf entre le cerveau et le larynx. Une fois que c'est sorti, c'est fini, alors ne m'en voulez pas si je fais une gaffe."

Alors que Kirby et son équipe devraient normalement traverser la Manche pour le Tour de France, la situation actuelle signifie qu'il couvrira l'édition 2020 depuis les studios d'Eurosport à Londres.

Être sur place en France serait évidemment préférable, mais, contrairement à d'autres sports, les aspects pratiques du commentaire cycliste ne changent pas trop quand on le fait à distance.

"Quand vous êtes sur place, même si vous êtes là, vous regardez toujours un moniteur", dit Kirby. "Vous êtes à la ligne d'arrivée, vous regardez essentiellement la télévision, bien que vous ayez plusieurs écrans."

Cela ne signifie pas pour autant que son travail n'a pas été rendu beaucoup plus difficile. Les images et les sons de la course, ainsi que la concentration des commentateurs dans une salle de presse complète peuvent offrir des pépites précieuses pour un commentateur.

"Être sur place vous donne accès à beaucoup de matériel supplémentaire", dit-il. "Surtout lors d'une longue étape de transition, ce matériel sera précieux".

"Si c'est une étape de 240 km avec un sprint final, alors ça va être un peu difficile. L'échappée va remonter la route, ils vont avoir droit à un avantage de 15 minutes et tout le monde va en parler - y compris nous".

"Quand vous êtes sur place, vous vous levez le matin, vous êtes dans cette ambiance où vous avez le cerveau qui bourdonne. Le petit-déjeuner, c'est tout ce qui s'est dit hors caméra, c'est là où vous collectez toutes les infos".

"Tous les autres commentateurs des autres nations et toutes leurs informations se retrouvent dans la même pièce, ce qui fait que les gens disent souvent : "Avez-vous entendu cela ?", avec des tonnes de choses à partager. Sur le plan de l'information, être sur place est incroyable".

Ainsi, une connaissance encyclopédique de la discipline et des ragots en coulisses sont deux ingrédients essentiels pour commenter le cyclisme, et les Grands Tours en particulier.

Il y a cependant une autre chose qui, selon Kirby, fait un bon commentateur : l'engagement.

"On ne peut pas faire cela sans enthousiasme. Si vous ne le faites que de façon ponctuelle, ça saute aux yeux", dit-il.

"Certains commentateurs ne commentent pas, ils se rabattent sur les statistiques. Tout le monde peut se connecter à Pro Cycling Stats et commencer à prétendre qu'il connaît bien un type qui est dans une échappée".